L’industrie textile figure parmi les secteurs les plus polluants de la planète, avec 4 milliards de tonnes de CO₂ émises chaque année, soit 10 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre (GES). La montée en puissance de la fast fashion ne fait qu’aggraver ce constat alarmant.
Face à ces chiffres accablants, la Commission Européenne passe à l’action en proposant un ensemble de mesures législatives pour imposer des produits plus durables, circulaires et économes en énergie à chaque étape de leur cycle de vie.
Le 23 avril 2024, le Parlement européen a franchi une étape décisive en adoptant le règlement sur l’écoconception des produits durables (ESPR). Ce règlement impose désormais le passeport numérique des produits (Durable Product Passeport) comme exigence. Son déploiement progressif débutera en 2027, avec une mise en place par catégories de produits.
C’est quoi le passeport numérique ?
Le passeport numérique des produits (DPP) est une carte d’identité numérique qui centralise des informations essentielles sur les produits, composants et matériaux afin de promouvoir leur durabilité, leur traçabilité et leur conformité réglementaire.
L’objectif est de digitaliser ces informations pour garantir un accès instantané aux consommateurs, fabricants et autorités, leur permettant de prendre des décisions éclairées en matière de durabilité et de conformité. Ce qui renforcera également les contrôles douaniers, en automatisant la vérification de l’authenticité des produits importés.
Ce passeport impose aux entreprises opérant sur le marché européen de fournir des données clés sur leurs produits, notamment :
- Performances techniques du produit
- Les matériaux et leurs origines
- Activités de réparation
- Capacités de recyclage
- Impacts environnementaux du cycle de vie
Les entreprises qui ne respecteraient pas ces obligations risquent des sanctions financières ou des restrictions d’accès aux marchés publics.
Le DPP concernera l’ensemble de la chaîne de valeur, du fournisseur au consommateur final. Son déploiement commencera avec les batteries électriques, suivi des textiles, matériaux de construction, pneus et d’autres produits. Dans le secteur textile, chaque produit vendu en Europe devra être écoconçu et équipé d’un DPP, conformément au règlement adopté.
La conception technique et le fonctionnement du passeport numérique des produits doivent répondre aux exigences suivantes (selon le Règlement ESPR) :
Exigences du passeport numérique des produits
Interopérabilité
Les DPP doivent être compatibles entre eux sur les plans technique, sémantique et organisationnel.
Accès facile et gratuit
Les consommateurs et les acteurs économiques doivent pouvoir accéder aux données selon leurs droits définis par la réglementation.
Données stockées par l'opérateur
Les opérateurs autorisés à agir au nom des opérateurs économiques ne peuvent ni vendre, ni réutiliser les données au-delà de ce qui est nécessaire à la fourniture des services de conservation ou de traitement concernés
Limitation de l’usage des données
Les opérateurs autorisés à agir au nom des opérateurs économiques ne peuvent ni vendre, ni réutiliser les données au-delà de ce qui est nécessaire à la fourniture des services de conservation ou de traitement concernés
Disponibilité
le DPP reste disponible pendant la période précisée dans les actes délégués y compris après une insolvabilité, une liquidation ou une cessation d’activité
Droits d’accès
les droits d’intégrer, modifier ou mettre à jour des données sont limités
Authentification, fiabilité & intégrité
des données sont garanties
Sécurité
Le passeport doit permettre de garantir un niveau élevé de sécurité et de protection de la vie privée et éviter toute fraude.
Quelle technologie pour le passeport numérique ?
La technologie derrière le DPP n’est pas encore définitivement choisie, mais les solutions envisagées incluent les QR codes, puces RFID, NFC, ou encore des codes-barres, souvent soutenus par la blockchain. Cette approche garantit la traçabilité des produits tout au long de leur cycle de vie.
Le DPP offre de nombreux avantages :
- Pour les consommateurs : il garantira l’authenticité des produits, un atout clé pour la revente. Il favorisera une transparence totale sur l’origine des vêtements et leur impact environnemental, permettant ainsi des choix d’achat plus responsables. Il joue également un rôle essentiel dans la lutte contre la contrefaçon.
- Pour l’environnement : il facilitera une meilleure gestion du recyclage et prolongera le cycle de vie des produits, contribuant ainsi à une mode plus durable.
- Pour les marques : il renforcera la confiance des consommateurs envers les marques, et améliorera l’image de l’entreprise. Il facilitera une meilleure connaissance des clients et encouragera le développement de programmes de fidélisation contribuant à l’économie circulaire.
La mise en place du passeport numérique présente plusieurs défis pour les entreprises :
- Technologie : les entreprises devront mettre en place un système robuste capable de standardiser la collecte des données provenant de sources multiples et décentralisées. Ce système devra extraire les informations pertinentes et les structurer dans un format compatible avec le DPP.
- Coûts : Des investissements supplémentaires seront à prévoir à tous les niveaux de la chaine de valeur, notamment en technologie, formation des équipes, gestion des données, entre autres.
- Protection des données ou Cybersécurité : Les données collectées par l’entreprise devront être gérées et partagées en conformité avec les réglementations sur la vie privée, nécessitant la mise en place des mesures de sécurité pour prévenir les abus et violations. Le défi sera de concilier transparence et protection des informations sensibles.
- Collaboration avec les fournisseurs : La complexité des chaînes d’approvisionnement dans ce secteur exige une coopération étroite avec tous les fournisseurs. L’adoption du DPP exigera que même les fournisseurs situés dans des régions où les réglementations environnementales sont moins strictes devront adapter leurs processus pour fournir des informations détaillées et conformes.
Des marques pionnières dans l’adoption du passeport numérique
- Isabel Marant franchit un cap dans la traçabilité et l’authenticité en intégrant un passeport numérique à chacun de ses produits en magasin. Pour cela, la marque s’est associée à la plateforme Trust-Place, combiné à la puissance de la blockchain Polygon. Cette technologie garantit une protection optimale des pièces, sécurisant les données de propriété et les rendant infalsifiables, tout en renforçant la transparence et la confiance des clients.
- Chloé la maison de luxe équipe désormais chaque pièce de sa collection (vêtements, chaussures et sacs) d’un QR Code. En un simple scan, les clients accèdent à des informations précieuses : origine des matières, conseils d’entretien, options de réparation, et même un certificat de propriété sécurisé. Cette innovation, rendue possible par un partenariat stratégique avec EON (spécialiste des solutions digitales) et Vestiaire Collective, renforce la transparence, favorise la seconde vie des produits et ancre Chloé dans une démarche de mode plus éthique et durable.
- Mugler révolutionne ses sacs à main Spiral Curve 01 et 02 avec des passeports numériques innovants. Grâce à un QR code intégré à l’intérieur du sac, les clients peuvent facilement scanner et entrer un code unique pour accéder à un profil en ligne exclusif. Ce profil dévoile des informations détaillées sur la vie du sac, incluant sa composition et sa fabrication, créant ainsi un jumeau numérique du produit physique. Cette technologie avancée repose sur la blockchain Polygon, en partenariat avec Arianee, une plateforme spécialisée dans la création de passeports numériques.
Un atout stratégique pour une mode durable et compétitive
Le Passeport numérique des produits (DPP) représente plus qu’une obligation règlementaire, c’est un levier d’innovation clé pour une mode plus durable et responsable. Bien qu’il représente un défi majeur pour les entreprises, notamment en raison de la complexité des chaînes d’approvisionnement dans le secteur textile, il offre également une opportunité stratégique pour celles qui réussiront à transformer cette contrainte en avantage concurrentiel.
Au-delà de la conformité légale, le DPP permettra aux marques de renforcer la confiance des consommateurs, d’optimiser la traçabilité et l’éco-conception de leurs produits, tout en contribuant activement à la réduction de l’empreinte écologique de l’industrie textile.
Les entreprises qui anticiperont son déploiement, en relevant les défis liés à la technologie, à la cybersécurité et à la collaboration avec les fournisseurs, se positionneront en leaders de la transition vers une mode plus durable. Dans un marché en pleine mutation, seules les marques capables de s’adapter et d’innover garantiront leur compétitivité à long terme.
Par Lucy Charlet
